Docteur Roger Bessis
Président du Collège Français d'Echographie Foetale
Note préliminaire :
Compte-tenu de lurgence, jai utilisé comme source dinformation les documents produits lors des arrêts par la Cour de Cassation. Jai, à tort ou à raison, considéré ces documents comme dignes de foi dans la mesure où ils sont présentés en soutien des décisions prises. Ce texte sera, bien entendu, corrigé en fonction dautres éléments qui pourraient venir compléter mes informations. Jai noté en caractères de couleur bleu, entre guillemets, les phrases directement extraites des documents en question. Le choix des mots utilisés par les magistrats, dont on sait la rigueur, les dates de survenue des différents évènements me semblent de la plus haute importance. Dans ce premier document, je ne fais que reprendre les éléments du dossier tels quils apparaissent dans les documents disponibles afin den proposer un résumé synthétique, que jespère moins ésotérique. Dans un second (sa disponibilité sera décalée de quelques jours), jen propose une analyse personnelle Le choix des extraits cités, lanalyse exposée, nengagent, bien entendu, que moi. |
Il me paraît important de souligner demblée que ces deux affaires ne concernent pas, ou bien peu, léchographie. Elles se réfèrent principalement à des manquements relatifs au test sanguin de dépistage de la trisomie 21 ou HT.21.
En fait, six arrêts de la Cour de Cassation font référence à larrêt Perruche :
o Larrêt Perruche lui-même (novembre 2000)
o Les trois arrêts du 13 juillet 2001.
o Les deux arrêts du 28 novembre 2001.
Sur ces six arrêts, seuls ceux du 13 juillet 2001 concernent des manquements au diagnostic échographique de malformations. On observera que dans ces trois affaires, la jurisprudence Perruche na pas été appliquée, même si son existence a été confirmée à cette occasion.
On peut demblée en tirer deux notions :
o Limportance de léchographie dans le dépistage et le diagnostic prénatal est telle que faire référence au diagnostic prénatal renvoie immédiatement, inconsciemment et collectivement à léchographie.
o Cest bien le dépistage et le diagnostic prénatal qui sont en cause et non seulement léchographie ftale. Cest tout une discipline médicale qui est concernée et, à travers elle, lexercice médical en général.
Les deux affaires sont à distinguer, car chacune présente ses particularités.
Madame S. est mère dun premier enfant, né par césarienne dans un contexte de toxémie gravidique, qui présente des troubles psychomoteurs. Elle consulte un nouveau gynécologue pour la grossesse suivante (avril 1996) et linforme de cet antécédent mais également du fait que sa belle-sur (sur de son mari) est atteinte de trisomie 21 (par translocation).
Les caryotypes du couple montreront que monsieur S. nest pas porteur de la translocation.
Pour cette seconde grossesse, le docteur H. prescrit un test plasmatique de dépistage de la trisomie 21, mais celui-ci nest pas effectué en raison dun arrêt spontané précoce de la grossesse.
Fin 1996, madame S. est de nouveau enceinte. Le docteur H. ne prescrit pas, cette fois, de dépistage plasmatique de la trisomie 21 dont sa cliente se proposait de subir le coût.
Madame S. met au monde le 27 avril 1997 un enfant trisomique 21. Elle est alors agée de 30 ans.
Les époux S. se retournent donc contre le docteur H. et demandent réparation des préjudices moral et matériel quils estiment avoir subis. Ils reprochent au médecin de ne pas avoir prescrit lamniocentèse que madame S. demandait, se considérant comme une patiente à risque.
Le tribunal (TGI de Clermont-Ferrand) retient un défaut dinformation de la part du docteur H. nayant pas permis au couple de prendre ou non une décision dinterruption de grossesse et accorde pour cela, à chacun des parents, une indemnité de 500 000 francs (soit un total de 1 000 000 de francs) au titre de la perte de chance et en réparation de leur préjudice moral. Par contre, il les déboute de leur demande relative à un préjudice matériel. (Jugement du 3 février 1999).
Il est important de signaler que, pour cette affaire, les juges nont pas fait appel à lanalyse dun expert médical, statuant sur les seules pièces du dossier.
Les parties faisant appel, la Cour dAppel de Riom confirme la décision du TGI de Clermont-Ferrand : A lévidence, linfirmité du jeune Yvan ne pouvait être regardée comme une conséquence du refus du docteur H. de pratiquer une amniocentèse : la trisomie est une anomalie génétique pour laquelle il nexiste aucun traitement et la circonstance quelle ne soit pas détectée in utero na pour effet ni de provoquer linfirmité de lenfant ni de retarder la mise en service de moyens thérapeutiques ; Le dommage imputable au gynécologue ne pourrait donc résider dans linfirmité de lenfant, quelque fâcheuse quelle fût pour lui-même comme pour ses parents, mais ramène lindemnité à 200 000 francs par parent.
La Cour dAppel considère que, bien que monsieur S. ne soit pas porteur de la translocation, la conjugaison de cet antécédent familial et des problèmes rencontrés par madame S. lors des deux grossesses précédentes établissait que madame S. était une patiente à risque et justifiait la prescription dune amniocentèse ou du test HT21 déjà prescrit lors de la seconde grossesse.
Les époux S. engagent alors un pourvoi en cassation.
Dans cette affaire, les parents nont pas exercé daction au nom de leur enfant.
Larrêt de la Cour de Cassation
Dans son arrêt n° 485 du 28 novembre 2001, la Cour de Cassation établit que le médecin a bien commis une faute en omettant de prescrire à nouveau ce test (le test HT21) ou de faire pratiquer lamniocentèse que demandait cette patiente à risques, madame Y
(le docteur H.) la privée dune information qui lui aurait permis, soit de recourir à une interruption de grossesse, soit de se préparer avec son mari à laccueil dun second enfant handicapé.
La Cour de Cassation considère par ailleurs que les époux S. doivent bien être indemnisés dun préjudice matériel : attendu que, dune part la faute commise par le médecin dans lexécution du contrat formé avec madame X
(madame S.) avait empêché celle-ci dinterrompre sa grossesse pour motif thérapeutique et, dautre part, quil nétait pas contesté que les conditions médicales dune telle interruption étaient réunies, les parents pouvaient demander la réparation du préjudice matériel résultant pour eux du handicap en relation de causalité directe avec la faute retenue.
Madame X
a 20 ans lorsquelle met au monde, le 7 janvier 1995, un enfant porteur dune trisomie 21.
Sa grossesse a été suivie par le docteur Y
qui a prescrit un dosage dHCG plasmatique (forme ancienne de lHT21. A cette époque on ne pratiquait pas encore le double ou triple test tel quil est réalisé actuellement sous lappellation HT21). Il semble que ce dosage ait montré un taux élevé dHCG, susceptible dindiquer un risque accru de trisomie 21. Lexpert a conclu en ce sens :il peut être affirmé quau vu des examens biologiques et autres à savoir un dosage élevé de béta-HCG
et une discordance entre les mesures du bipariétal et du fémur du ftus, aurait dû être évoqué auprès de la patiente le risque de survenance dune trisomie 21. (note : je nai pas eu accès au dossier original et ne peux donc produire les données brutes. Par ailleurs, on peut penser que lexpertise a du avoir lieu vers la fin de lannée 1997).
Madame X
reproche au docteur Y
de lavoir privée de linformation qui lui aurait permis de prendre ses responsabilités quant à la poursuite de la grossesse et assigne le docteur Y
en son nom personnel et en tant quadministrateur légal de son fils (le père de lenfant ne semble pas sêtre associé à la plainte).
Le 11 mars 1998, le TGI de Brest a estimé :
o Que le docteur Y
avait commis une faute dans lexécution de la convention qui le liait à madame X
en ne lui fournissant pas une information appropriée sur la signification possible du taux de béta-HCG relevé et des résultats des examens échographiques.
o Que le degré de probabilité du recours de madame X
à linterruption de grossesse pouvant raisonnablement être évalué à 50%, le préjudice résultant de la naissance de lenfant handicapé devait être mis à la charge du médecin dans les limites de ce pourcentage.
Le docteur Y
est condamné à payer à madame X
75 000 francs en réparation de son préjudice moral, lequel est estimé à 150 000 francs.
Un expert pédiatre est désigné pour évaluer le préjudice matériel.
Ceci concerne les préjudices propres à madame X
En revanche, le TGI de Brest déclare irrecevables les demandes formulées au nom de lenfant aux motifs quun préjudice nest envisageable que si le plaignant a perdu une situation juridiquement protégée . dans le cas présent, le TGI de Brest a estimé que lenfant qui ne pouvait pas naître exempt de lanomalie ayant affecté sa conception ne pouvait se prévaloir du préjudice constitué par sa naissance en tant quenfant trisomique.
Madame X
fait appel de ce jugement et le 19 janvier 2000, la Cour dAppel de Rennes :
o Confirme la responsabilité limitée du médecin (à 50%). Cest-à-dire que cette faute constitue une perte de chances.
o Fixe à 100 000 francs le préjudice économique subi par madame X
o Déclare recevable la demande dindemnisation du préjudice personnellement subi par lenfant. Madame X
réclamait une somme de 7 640 070 francs, à savoir :
* 3 000 000 francs en réparation du handicap (équivalent à une IPP de 100%)
* 4 640 070 au titre de lassistance dune tierce personne. Soit :
o 1 168 195 pour les cinq premières années.
o 3 471 875 pour le reste de la vie.
o Considère que La faute commise par le praticien qui na pas donné à la mère une information complète sur les risques danomalie ftale encourus est en relation directe avec la naissance de lenfant porteur de la trisomie 21 (
) la mère est donc fondée à demander lindemnisation du préjudice subi par lenfant lui-même. Ce préjudice est constitué par les conséquences dommageables du handicap et plus particulièrement la nécessité de prévoir une assistance permanente de lenfant telle que préconisée par lexpert.
o Condamne le médecin à verser à ce titre une somme de 650 000 francs du fait que :
* Le médecin nest responsable quà 50% du dommage.
* Lenfant est inscrit en vue de son admission dans un établissement spécialisé dont les prestations seront prises en charge par les organismes sociaux.
* La garde de lenfant est confiée à la mère de madame X
, éducatrice de formation, dont il nest pas précisé si madame X
la rémunère.
* En conséquence, le préjudice nest constitué que par les frais déducation de la prime enfance.
Madame X
engage alors un pourvoi en Cassation, considérant que le principe de réparation intégrale a été violé et que la réparation à hauteur de 50%, au titre de la perte de chances est contraire à larticle 1382 du Code Civil.
Larrêt de la Cour de Cassation
Larrêt du 28 novembre 2001 casse ce jugement pour la partie concernant le préjudice de lenfant (en ses seules parties relatives au préjudice de Lionel X
.), cest-à-dire (si jai bien compris) ne revient pas sur la décision antérieure du TGI de Brest dindemniser 50% du préjudice moral de madame X
ni sur la fixation à 100 000 du préjudice financier personnel de madame X
tel que défini par la Cour dAppel de Rennes.
Dans les attendus de cette cassation, il est stipulé que le préjudice subi par lenfant nest pas constitué par une perte de chance mais par son handicap, dautre part que le montant de lindemnité due au titre de lassistance de tierces personnes à domicile pour les gestes de la vie quotidienne ne saurait être réduit en cas dassistance familiale.
En clair, le médecin est responsable à 50% du préjudice de la mère et à 100% de celui de lenfant.
Deux documents sont fondamentaux dans ces affaires, le rapport du Conseiller Rapporteur, monsieur Blondet et celui de lAvocat Général, le Conseiller Sainte-Rose.
Il sagit de contributions assez conséquentes (16 pages et 20 pages) dont la lecture nest pas toujours aisée en raison du vocabulaire et des tournures spécifiques utilisées et des fréquentes digressions.
Je vais donc les résumer en présentant ce qui me semble le plus significatif pour lanalyse ou le plus emblématique pour la compréhension du contexte juridique et social qui entoure ces affaires.
Le lecteur pourra sil le désire trouver ces documents in extenso à partir des liens offerts sur ce même site.
Le Conseiller Rapporteur, monsieur Blondet après avoir rappelé ce quest la trisomie 21, malformation chromosomique majeure qui justifie un double effort de prévention et de solidarité sociale
décrit la maladie : laugmentation du nombre de gènes liés au chromosome surnuméraire entraîne lapparition de certains signes, qui, témoignage visible de lappartenance à un groupe différent, constituent lun des éléments du tableau clinique les plus douloureusement ressentis par les enfants et leur famille.
. Faisant alors référence à la loi dorientation du 30 juin 1975 qui définit expressément dans son premier article la prévention et le dépistage des handicaps (note de l'auteur. : handicap est ici au sens large et ne concerne pas spécifiquement la trisomie 21) comme une obligation nationale, le rapporteur exprime que On comprend dès lors quun double effort de prévention et de solidarité ait été engagé par les pouvoirs publics en vue, dune part de réduire le nombre de naissances denfants trisomiques, dautre part dassurer aux personnes affectées par cette anomalie des conditions de vie décentes.
Suit alors un paragraphe intitulé La prévention de la trisomie 21, dans lequel le rapporteur décrit lavènement des tests sériques et note que par arrêté du 23 janvier 1997, le remboursement du dosage des marqueurs sériques de la trisomie 21, inscrits à la Nomenclature des actes de biologie médicale, a été autorisé pour une période de deux ans, dans lattente des résultats de son évaluation. La commission nationale médicale de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal ayant conclu à lefficacité de cette technique de dépistage, un arrêté du 11 février 1999 à renouveler la prise en charge des marqueurs sériques. Ceux-ci permettent actuellement de dépister 60% des enfants porteurs de la trisomie 21. Puis, le rapporteur expose le dépistage échographique, en insistant sur la mesure de la clarté nucale par échographie, notamment si elle pratiquée par voie endovaginale, la notion de signe dappel et décrit lamniocentèse, en avouant que cette ponction peut entraîner dans 0,5% des cas une interruption de la grossesse.
Décrivant la politique daide aux handicapés, le rapporteur indique que : Les enfants trisomiques ont, bien entendu, eu égard à la gravité de leur handicap, vocation à bénéficier de ces aides. Il nen reste pas moins que, dans les deux procédures que nous examinons, les parents, inévitablement traumatisés par la découverte, à la naissance, du handicap de leurs enfants, préoccupés par linsuffisance des aides de la collectivité et soucieux de lavenir, ont exercé des actions en responsabilité contre les médecins.
Le chapitre suivant est intitulé : Léchec de la prévention de la naissance de lenfant handicapé : démonstration de la faute et étendue de la responsabilité du médecin.
Il comprend trois paragraphes :
1°) La faute du praticien : linexécution dune obligation dinformation :
Les fautes reprochées au praticien par les demandeurs à laction de vie dommageable qui vous ont été soumises à ce jour présentent une certaine diversité
.. Un élément commun rassemble pourtant ces fautes : dans tous les cas, elles ont privé la patiente dune information qui lui aurait permis de recourir au diagnostic prénatal au sens strict, cest-à-dire une consultation médicale de conseil génétique suivie dune amniocentèse, et, sous réserve de lattestation de deux médecins qualifiés, à une interruption de grossesse. Le défaut dinformation est ici en relation avec une perte de chance non pas de guérison ou de survie, comme en droit commun de la responsabilité médicale, mais au contraire dinterruption de la vie ftale.
Il est en outre essentiel de souligner, même si cest une vérité dévidence, que la faute reprochée aux médecins est postérieure au développement de lanomalie qui affecte les enfants. Cette observation, qui nous invite à distinguer, dans la causalité du préjudice global de ces enfants, en premier lieu laccident génétique et, secondairement, la faute humaine qui a interdit linterruption de la vie handicapée, pourrait en effet avoir des conséquences décisives sur la définition même du préjudice dit de vie handicapée.
2°)Un préjudice spécifique :
Le propre de la responsabilité, écrivait Savatier, est de rétablir aussi exactement que possible léquilibre détruit par le dommage et de placer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle serait trouvée si lacte dommageable navait pas eu lieu.
Le précieux aphorisme nest pas ici dun grand secours.
Cette demande de réparation intégrale se heurte à deux objections, lune de principe, lautre de méthode.
a) Les limites de la responsabilité du médecin :
la faute du praticien nest que secondaire dans lordre des causes du handicap : elle a fait non pas que lenfant est handicapé, mais quil vit avec son handicap. Dès lors, nous devons nous interroger sur la mesure exacte, et, pour tout dire, équitable, de la contribution de la faute du médecin à la production du dommage. A cet égard, lon pourrait se demander, dans la mesure où le dommage résultant pour lenfant de la faute du praticien ne peut être identifié à la totalité de son handicap, sil ne serait pas inéquitable de faire supporter aux praticiens négligents la charge de la totalité des conséquences du handicap. Ne devraient-ils pas répondre, quelle que soit la difficulté dune délimitation entre ce qui relève du hasard ou de la nécessité et ce qui relève de leur responsabilité
En clair, on pourrait se demander si, le médecin nétant pas responsable de la trisomie mais du fait que lenfant est vivant avec sa trisomie, il ne conviendrait pas de distinguer la trisomie 21 (dont le médecin ne serait pas responsable) et ce qui relève de la vie avec le handicap dêtre trisomique (dont le médecin serait pleinement responsable et devrait assurer la pleine charge).
b) Linadaptation de la méthode dévaluation du dommage corporel de droit commun à lévaluation du préjudice de vie handicapée :
Ce second paragraphe particulièrement complexe dans sa forme. Après plusieurs lectures minutieuses, jen présente un résumé tel que je lai compris. Il débute par la phrase suivante, surprenante : Ensuite, en dépit de la défaillance ou de labsence de tiers payeurs dans les deux affaires soumises à notre examen (la MNEF et la CPAM du Nord-Finistère, assignées en intervention forcée par madame X
devant la Cour dAppel de Rennes, ont fait défaut).
* Labattement de 50% concernant la responsabilité du médecin pour ce qui est du préjudice maternel nest pas aberrant.
* La réduction à 650 000 francs du coût de lassistance dune tierce personne a été effectuée sur des motifs de caractère évasif.
* Le rejet de lIPP nest pas expliqué.
* Larrêt a le mérite dadmettre dans son principe laction dite de vie préjudiciable.
* La méthode habituelle dévaluation du préjudice ne simposait pas (
.). En effet (
.) les allocations servies aux handicapées constituent une obligation nationale destinée à leur garantir un minimum de ressources ou une aide indispensable quils ne sont pas en mesure de financer. Elles sont dun montant variable en fonction des ressources du bénéficiaire.
* On pourrait admettre que la Cour dAppel a bien jugé en nimputant pas au médecin ce qui pouvait être apporté par la solidarité nationale. Mais, selon le Conseiller Blondet, cela aboutirait à un climat dinsécurité juridique. En effet, selon lui, lors du retour devant les tribunaux (au cas où le jugement serait cassé, ce qui nest pas encore avéré lorsque monsieur Blondet rédige son rapport) les juges deux situations peuvent être rencontrées : soit lenfant bénéficie daides (
) et ils limiteront la réparation mise à la charge du médecin, soit ils nen auront pas la preuve et lindemnisation mise à la charge du médecin sera lourde. Dans cette hypothèse, on peut envisager que les organismes débiteurs (
) seront conduits à réduire ou à supprimer les aides accordées lorsquils seront informés de lindemnisation du préjudice (mise à la charge du médecin).
* Le Conseiller Blondet préconise donc, afin déviter des contentieux ultérieurs de retenir que le médecin responsable de la poursuite de la vie handicapée ne devrait répondre que de la part dindemnité, de caractère personnel, correspondant aux souffrances physiques ou morales endurées par la victime et à ses préjudices esthétiques et dagrément. Ainsi seraient clairement délimités :
a. Le domaine de la réparation des préjudices économique et corporel, résultant des anomalies chromosomiques de lenfant, assurée au titre de la solidarité nationale et,
b. celui de la réparation des conséquences de la négligence de praticiens qui ont interdit à sa mère de lui éviter les désagréments dune vie handicapée.
* Il sagit donc, pour le médecin, du préjudice causé par les fautes retenues à la charge du médecin, ce qui est le cas des souffrances, des disgrâces physiques et des désagréments de la vie handicapée, postérieurs à la naissance qui les dévoile.
* Toutefois, le Conseiller Blondet est bien conscient des objections que peuvent susciter un tel choix, dordre moral et dordre juridique. Il préconise donc dinviter les juges du fond à fixer le préjudice, identifié à toutes les conséquences dommageables du handicap, dans tous ses éléments. Cest ce que demandait madame X
.
3°) Les conditions de la démonstration du lien de causalité entre la faute et le dommage :
Selon les médecins, le lien de causalité entre les fautes qui leur sont reprochées et le dommage subi par lenfant né handicapé ou le préjudice de ses parents est indémontrable. Le Conseiller Blondet considère que cet argument ayant déjà été rejeté lors de quatre arrêts précédents (Perruche et les trois arrêts de juillet 2001), il ny avait pas lieu de sétendre plus sur la question.
Cependant, il note que la Cour dAppel de Rennes ne sest pas assuré du fait que si le diagnostic avait été connu par la patiente (la mère), elle aurait pu avoir recours aux conditions dinterruption de grossesse établis pas la loi de 1975. Tout en recommandant aux tribunaux de sen assurer désormais, il considère que la plainte de lenfant de madame X
a valeur de preuve de facto du fait que si elle avait su le diagnostic, elle aurait eu recours à une interruption de grossesse.
Enfin, le Conseiller Blondet conclut en rappelant à ses collègues Votre affirmation répétée de la recevabilité de laction de vie préjudiciable. Il soppose également à ce que soit réduit le champ de la responsabilité du médecin à la perte, pour les parents, de la chance déviter la naissance dun enfant ne correspondant pas à leurs prévisions. Auquel cas, la réparation pour les parents devrait comprendre, au-delà du préjudice moral, la charge résultant de leurs obligations daliments, dentretien et déducation.
Dans son introduction, Monsieur Sainte-Rose rappelle quà loccasion des arrêts de juillet 2001, la Cour de Cassation Devant lampleur inhabituelle des réactions suscitées par le très célèbre et très controversé arrêt P
du 17 novembre 2000 (
) a décidé non pas de revenir sur sa décision ce qui eut été surprenant mais den cantonner la portée en rejetant les trois pourvois en raison de labsence de lien de causalité entre les fautes retenues et le préjudice invoqué.
Pour lui, La complexité des arguments de tenants de larrêt P
se heurte à la simplicité de lévidence. Le médecin ne pouvant ni prévenir ni guérir la maladie qui préexistait à son intervention, lerreur de diagnostic na pu quassurer la survie de lenfant. Si tant est que sa mère, dûment informée, aurait décidé de recourir à lavortement, ce qui nest pas toujours le cas. Aussi larrêt du 17 septembre (arrêt Perruche) nous avait-il paru faire le choix dune matérialité (
) purement juridique dictée par le souci de faire porter le poids du dommage par le praticien. (
) Telle a été lopinion émise par le Comité national Consultatif dEthique (
.). Rappelons que le Conseil dEtat a jugé (
) quil ny avait pas de lien de causalité entre lerreur commise par un centre hospitalier (
) et la trisomie 21 affectant un enfant handicapé.
LAvocat Général décrit alors dans quel esprit ont été votées les lois de 1975 et de 2001 relatives à linterruption de grossesse mais aussi, à la prise en charge des handicapés. Il expose que les dispositifs relatifs à linterruption de grossesse ont été rédigés dans lintérêt des femmes et que, si lavortement avait été légalisé dans lintérêt de lenfant, cela aurait dautant réduit la liberté des femmes.
Evoquant les aides apportées aux familles, il déclare que cest linsuffisance de ces aides qui est la cause des actions intentées contre les praticiens.
Suit un long chapitre où sont rappelées les conditions définies par la loi, encadrant la pratique des interruptions de grossesse.
Il aborde ensuite la notion de dommage réparable : Cette condition de la responsabilité civile nest nullement malléable comme peut lêtre la causalité qui constitue le lien entre le dommage et la faute, la propension des juges à ladapter au but étant bien connue. Ainsi, selon lui, Lenfant est dans un état dommageable, il na pas été victime dun fait dommageable imputable à un tiers. (
) Pour atteindre le résultat recherché (
) il faut forcer, à tous les niveaux, les cadres du droit de la responsabilité civile.
Il constate les véritables impasses éthiques et logiques auxquelles conduit la jurisprudence Perruche, puisque remettre en état les choses, comme si le dommage affirmé ne sétait pas produit, cest décréter leuthanasie de lenfant. Et comment se présenter comme sujet de droit, susceptible de saisir la justice, mais sous le motif que lon aurait désiré ne pas lêtre ?
Il sinquiète de la dérive concernant lappréciation du préjudice. Il rappelle en particulier que lexpertise est indispensable et que la mission des experts médicaux est dapprécier la réalité dune éventuelle faute médicale par référence aux données acquises de la science au moment des faits incriminés. Mais, sil sagit non plus dapprécier la faute mais le caractère réparable du préjudice, lexpertise est détournée de son objectif et sert au contraire à déterminer le critère du droit à réparation. (
) Les rôles respectifs du droit et de la science sen trouveraient en quelque sorte inversés. Il cite à ce sujet Georges Canguilhem qui redoutait que la norme biologique dun être humain résulte de la coïncidence de cet organisme avec les calculs dun généticien eugéniste.
Il sinterroge également sur les inévitables conflits dintérêt entre les enfants et des parents qui les représentent en justice mais dont les demandes sont une remise en cause de lexistence même de ces enfants.
Enfin, considère que laction de vie dommageable est contraire au principe dégalité. En effet, les handicapés qui naissent dans les hôpitaux publics nauront pas les mêmes possibilités juridiques (les affaires dépendent alors du tribunal administratif dont laboutissant est le Conseil dEtat qui a une position diamétralement opposée à celle de la Cour de Cassation. Par ailleurs, le délai de responsabilité médicale est très court, surtout comparé à celui applicable en médecine libérale, qui est de 30 ans
après la majorité du patient). Seuls bénéficieront dune indemnisation ceux qui nés dans le secteur libéral, peuvent invoquer une faute médicale et dont les parents ont exprimé le regret quil soient venus au monde.
Concernant laffaire A (époux S. contre docteur H.),
Concernant laffaire B (Madame X. contre docteur Y.),
Dans sa conclusion, monsieur Sainte-Rose expose les effets pervers qui, selon lui, pourraient résulter de ce type dactions :
Admettre laction de vie dommageable qui transfère vers lassurance privée la prise en charge des enfants malformés revient, en définitive, à considérer le fait de vivre comme un préjudice indemnisable. Cette action a pour fondement la loi sur linterruption de grossesse (
) mais que lon veut appliquer après la naissance de lenfant.
(
)
Nul nest fondé, à juger de la légitimité des vies humaines. Aucune norme ne permet de dire quune vie ne mérite pas dêtre vécue ni quun individu est justifié à tenir son existence pour inutile. Personne ne peut le penser ni le faire savoir à sa place.
(
) en contradiction avec les droits fondamentaux de la personne, facteur dinégalités entre individus, (
) laction considérée ne peut avoir que des effets pervers : en engageant les parents denfants handicapés à agir contre les médecins, en engageant ceux-ci à renoncer à certaines opérations de dépistage non obligatoires, ce qui augmentera le nombre des handicapés, en les incitant surtout à préconiser au moindre doute lavortement qui ne suscite aucune action, en renforçant les dérives eugéniques (
), en limitant la liberté des femmes auxquelles on inculquera le devoir davorter, en donnant de la médecine ftale une image thanatophore de nature à décourager les vocations.